« Petite enfance et handicap : partenariats nécessaires ! »

Pour entamer cette synthèse, je reprendrai la métaphore sur le partenariat citée par un intervenant, métaphore qui illustre la différence entre suppléance et substitution : « La vache supplée à la fonction lactifère de la mère, mais elle n’est en rien la mère. » Si j’ai bien compris, en tant que professionnels, nous jouons le rôle de la vache. Et celle-ci ne doit pas se prendre pour la mère…

De cette journée de réflexion sur le partenariat des structures d’accueil de l’enfance avec le secteur spécialisé, je retiens cinq axes.

1) L’intégration, l’accueil en milieu « ordinaire » (structures multi-accueil, de loisirs, école, etc.), implique le partenariat avec le secteur spécialisé.
2) Le partenariat se construit « en passant par » les parents.
3) il faut maîtriser le sens de nos représentations du fonctionnement humain pour construire une pensée partagée sur la situation de l’enfant.
4) La globalité n’appartient pas aux professionnels ; ceux-ci doivent assurer une cohérence d’action, sans prétendre maîtriser l’itinéraire de l’enfant.
5) Les freins et les facilitateurs de partenariat.
1) L’intégration, l’accueil en milieu « ordinaire » (structures multi-accueil, de loisirs, école, etc.), implique le partenariat avec le secteur spécialisé.

En l’absence de partenariat avec le secteur spécialisé, on demande à l’enfant de s’adapter à la norme ordinaire sans lui offrir les soutiens compensatoires relatifs à son handicap.
Par ailleurs, il n’y a pas de recette, de savoir-faire idéal, pour réussir l’accueil d’un enfant avec un handicap. Il y a toujours des adaptations à inventer. C’est le rôle des structures telles que les CAMSP (Centre d’action médico-social précoce) et les SESSAD (Service d’éducation spécialisée et de soin à domicile) : proposer des aménagements matériels, des dispositions qui permettent notamment d’accueillir l’enfant avec ses pairs d’âge au lieu de le maintenir avec des enfants beaucoup plus jeunes parce qu’il n’a pas acquis les compétences relatives à son âge.
Chaque situation est singulière, ce qui signifie qu’il faut mettre en place des dispositifs souples :
– non seulement adaptés à chaque enfant,
– mais aussi qui permettent aux parents et à l’enfant de cheminer au fil du temps au sein de la structure d’accueil.
2) Le partenariat se construit « en passant par » les parents.

Le partenariat s’établit tout d’abord avec les parents (qui ne sont pas partenaires mais parents, autrement dit responsables de l’éducation de l’enfant), afin d’élaborer un projet avec eux.

Quel est le rôle du parent avec les professionnels partenaires autour de l’enfant ?
– Choisir les dispositifs qui vont intervenir auprès de l’enfant, autrement dit être informé de son évolution, des contours de son handicap, et des propositions à son intention,
– être le pivot, le point de passage des différents professionnels et l’enfant.
Certes, des désaccords peuvent surgir entre professionnels et parents, par exemple sur une méthode considérée comme bénéfique par les parents et inappropriée par les professionnels.
Dans ce cas, il est nécessaire que l’équipe dise quelle est son approche et indique aux parents qu’ils peuvent faire d’autres choix.
Il faut rechercher des compromis, des consensus partiels, faire éventuellement des chemins parallèles, énoncer les désaccords et les convergences à partir desquelles on peut travailler.

Quelles sont les difficultés que les parents peuvent rencontrer avec un réseau d’intervenants ? A quoi les professionnels doivent-ils être vigilants ?
Des parents nous ont fait part aujourd’hui de leurs difficultés à choisir lorsqu’ils se trouvent devant des partenaires qui leur présentaient des options thérapeutiques, éducatives, rééducatives, différentes.
Ces témoignages doivent nous interpeller, en tant que professionnels, sur la façon dont nous réclamons de telle ou telle référence comme étant la bonne de façon exclusive. Nous devons éviter de penser en noir ou blanc, être capable de tenir des idées distinctes en tension, de les articuler en situation pour offrir des solutions pragmatiques, non pas idéales mais les plus appropriées à la situation de cet enfant-là aujourd’hui avec ces parents-là.
Certains ont évoqué l’écart entre les déclarations idéales de la loi du 11 février 2005, qui risque de faire croire aux parents qu’ils ont le choix entre différentes approches thérapeutiques, éducatives, rééducatives, alors que concrètement ils ont peu de latitude.
Les parents sont mis aujourd’hui en responsabilité d’individualiser le parcours de leur enfant, d’en assumer les choix avec les conséquences que cela impliquera ? S’agit de choix éclairés s’ils ne rencontrent pas des professionnels qui s’efforcent eux-mêmes à la pondération dans les orientations théoriques, à une prudence pragmatique en situation ?
Sans doute, les questions que se posent les parents en termes de choix pour leur enfant avec un handicap sont les mêmes que celles de tout parent pour tout enfant. Mais, quand l’enfant est en situation de handicap, ces questions sont exacerbées car les enjeux sont sans commune mesure, les erreurs peuvent être dramatiquement conséquentes.
Si donc le partenariat nous amène à renouveler sans cesse nos questionnements, il ne faut pas oublier que nous avons aussi la responsabilité d’offrir une cohérence aux parents, et de les aider dans un choix éclairé.
Enfin, je retiens ce propos d’un parent : « Quand on vient voir les professionnels et qu’on évoque des méthodes avec eux, ce n’est pas pour leur apporter une solution, mais pour leur dire quelle est notre réflexion et que nous souhaitons qu’elle soit entendue comme intéressante. »
Cette capacité à entendre la validité du point de vue du parent bien qu’il ne soit pas un spécialiste de la question… C’est tout sauf facile, car cela implique d’écarter temporairement nos références habituelles et de penser à partir des références qui soutiennent le propos de notre interlocuteur.

3) Il faut maîtriser le sens de nos représentations du fonctionnement humain pour construire une pensée partagée sur la situation de l’enfant.

Chaque corps professionnel construit une représentation de l’humain, qui lui permet de situer dans quel domaine il agit auprès de l’enfant, sans ignorer l’existence des autres domaines (Par exemple cette représentation des différents axes du fonctionnement humain qui nous a été proposée par l’un des intervenants : les praxies, les gnosies, la perception de soi, la relation aux autres).
Il importe que chacun travaille sur les mots qu’il emploie, qu’il en maîtrise précisément le sens, afin de présenter son point de vue, de rendre sa représentation du fonctionnement humain vrai-semblable pour le partenaire qui appartient à un autre corps professionnel. Vraisemblable au sens de semblable à ce qui est suffisamment vrai pour l’autre, c’est-à-dire suffisamment proche de son système de pensée pour qu’il puisse l’apparier à sa propre approche de la situation de l’enfant.
Le partenariat implique une pensée partagée sur l’enfant, autrement dit un espace de convergence favorable à l’échange et nécessaire à la cohérence d’action. « Ni rire, ni juger, mais comprendre l’autre. » nous dit Spinoza.
Cela signifie notamment que chaque équipe, a besoin de savoir où elle se situe dans le réseau partenarial et quelle est l’architecture du réseau auquel elle contribue. Qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ? Qui peut-on interpeller ?
Pour reprendre la métaphore développée aujourd’hui par l’un des intervenants, il est nécessaire que chaque acteur ne regarde pas le ciel étoilé comme une nébuleuse sans repère, mais qu’il y retrouve des configurations stellaires familières. Le réseau doit être dans l’esprit de ses acteurs une structure repérable, constituée par différents éléments, dont la cohérence se dessine à partir des liens établis entre des éléments distincts.
4) La globalité n’appartient pas aux professionnels ; ceux-ci doivent assurer une cohérence d’action, sans prétendre maîtriser l’itinéraire de l’enfant.

La prétention professionnelle à la globalité (répondre à tous les besoins de l’enfant), c’est la fermeture de l’institution sur sa vérité, la prétention de la totalité. Or, le partenariat est précisément le contraire, puisque c’est l’identification de la complémentarité.
Dans la situation de ce matin, était notamment soulignée la distinction des lieux, la répartition de rôles entre le CAMSP- lieu de soin (on y parle du handicap) – et la crèche, la Halte-Garderie, ou la maternelle, – lieu de vie (on considère l’enfant comme les autres, sans mettre son handicap en exergue). En structure d’accueil ordinaire, il ne s’agit pas de rééduquer mais d’offrir un lieu de vie avec les autres : « Etre à côté de l’enfant sans intention particulière, pour qu’il prenne des initiatives, être juste un pas derrière lui. », comme le disait une intervenante.
Au CAMSP et dans le lieu d’accueil en milieu ordinaire, l’enfant connaît des situations distinctes, avec ses parents il en connaît d’autres, avec ses grands parents d’autres aussi, avec ses frères et soeurs d’autres encore, etc.
Non seulement aucun des acteurs professionnels qu’il rencontre ne peut prétendre avoir une représentation globale de sa situation, mais surtout chacun d’entre eux ne doit se penser que comme l’un des accompagnateurs temporaires et sectoriels sur un itinéraire de vie dont la globalité appartient à l’enfant et ses parents, ces derniers étant d’abord responsables de son projet de vie pour qu’il en devienne progressivement le détenteur.
Par contre il importe que l’action de chaque partenaire s’inscrive dans une cohérence d’ensemble pour que la complémentarité soit pertinente : le partenariat ne doit pas être une mosaïque éclatée d’interventions mais une dynamique d’action partagée.
Cette dynamique doit respecter le rythme de l’enfant et le cheminement des parents, c’est-à-dire partir de ce qu’ils sont et non de ce que l’on voudrait qu’ils soient, de là où ils en sont et non de là où l’on voudrait qu’ils en soient.
Il s’agit notamment pour les professionnels de ne pas mettre en acte des pensées inappropriées à ce que sont les parents et l’enfant. Le professionnalisme consiste à écarter – au moins temporairement – de sa réflexion les objectifs qui ne sont pas adaptés au contexte familial du moment, à savoir renoncer provisoirement. L’équipe doit être garante de ce renoncement pour que ses membres ne projettent pas leurs désirs d’action et de réussite inappropriées au contexte familial.
5) Les freins et les facilitateurs du partenariat.

Disjoindre les interventions est nécessaire, car on ne sait pas tout faire. Il faut donc rechercher les complémentarités. Cependant, la multiplication des articulations pose des problèmes. De nombreux professionnels sont concernés par les concertations sur le projet de l’enfant, les déperditions d’information nuisent à la cohérence.
Par ailleurs, la présence d’un trop grand nombre de professionnels dans les rencontres avec les parents peut entraver la qualité des échanges avec ceux-ci et leur participation au projet éducatif ou thérapeutique.
Certains tuilages internes au sein des services sont donc nécessaires, un seul professionnel représentant ses collègues pour permettre une présence plus réduite en nombre aux rencontres avec les parents.
Il convient en outre de rappeler le caractère impérieux de la consultation des parents avant, par exemple, les réunions d’équipe éducative dans le cadre de la scolarisation.

Divers freins au travail en partenariat ont été identifiés au cours de la journée :
– des représentations exclusives sur le devenir de l’enfant, un jargon technique inaccessible ;
– de fausses évidences entre professionnels autour de mots-valises, oublieuses des explications nécessaires, qui entretiennent l’illusion qu’on s’est mis d’accord sans préciser les objectifs respectifs ;
–  l’éloignement géographique des partenaires, dispendieux en temps, qui réduit les échanges ;
– les partenariats établis sur le mode d’une nécessité urgente – « Nous avons un problème, ils ont une solution. » – qui empêche de réfléchir sur le sens de l’action entreprise.
Enfin des facilitateurs de partenariat ont aussi été répertoriés :
– une conception en termes de micro-concertations concrètes plutôt qu’en objectifs trop généraux ;
– l’existence d’un référent dans chaque service, pour chaque situation, assurant la coordination du projet avec les autres services ;
– la détermination de l’utilité prévalente de chaque partenaire, des priorités qu’il doit poursuivre pour éviter les recouvrements inutiles ;
–  le tissage de relations pour construire le « 1er rang du tricot » : les professionnels spécialisés se déplacent, interviennent parfois dans les lieux de vie de l’enfant ; on se voit, on se parle, on laisse une place à l’imprévu de ce qu’on va échanger, on découvre l’intérêt d’observer les progrès de l’enfant dans un lieu autre que celui du soin.
– une conception du partenariat non comme un plus mais comme une nécessité ; le souci des services spécialisés de se demander quelles sont les personnes en contact avec l’enfant, dans quels milieux il vit, pour que le lien partenarial devienne une habitude.

Forum Enfance Accueil organisé par l’association « Une Souris Verte »
18 octobre 2007
« Petite enfance et handicap : partenariats nécessaires »
Synthèse des travaux (Bertrand Dubreuil)

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